Modèles de couleur de peau : prédire l'invisible

  • news

Un léopard ne peut pas changer ses taches, mais certains lézards changent systématiquement leurs taches. Les écailles d'un lézard ocellé, par exemple, passent du noir au vert à mesure que le lézard vieilli, avant de se fixer sur un arrangement labyrinthique avec un ordre à courte portée. En modélisant la dynamique de ce processus à l'aide du modèle de réaction-diffusion (RD) de Turing, le laboratoire Milinkovitch a découvert que les configurations apparemment binaires des écailles cachent un motif secondaire basé sur des gradations de couleurs trop subtiles pour être visibles à l'œil nu. Ces résultats sont importants pour faire progresser le domaine de la formation des motifs biologiques en allant au-delà des simples comparaisons qualitatives entre la théorie et les expériences, et en montrant que les modèles RD peuvent prédire des caractéristiques non observées de ces systèmes. Plus généralement, l’étude montre que la biologie, malgré sa nature "désordonnée", avec sa profusion ingérable de variables cellulaires et moléculaires, peut faire l'objet d'une étude mathématique efficace et quantitative, y compris à l'aide de modèles phénoménologiques simples.

Alan Turing a proposé un processus de réaction-diffusion (RD) comme base chimique de la morphogenèse. Malgré l'élégance de ce modèle, sa pertinence pour la description précise de la morphogenèse dans les organismes réels est largement contestée. Le groupe de Michel Milinkovitch montre ici qu'un simple système de réaction-diffusion, qui prédit la structuration de la peau des lézards ocellés en chaînes labyrinthiques d'écailles vertes et noires, à la manière d'un automate cellulaire, prédit en outre de subtils sous-ensembles de couleurs insoupçonnés, en corrélation avec les couleurs des écailles avoisinantes.

L'imagerie hyperspectrale indique que les sous-ensembles de couleurs sont présents chez les vrais lézards, ce qui confirme la prédiction non triviale du modèle numérique. En outre, des analyses histologiques approfondies montrent que la distribution spatiale des mélanophores est en corrélation avec le voisinage d'échelle, ce qui confirme que le sous-ensemble de couleurs est associé au système microscopique sous-jacent d'interactions entre les chromatophores.

Les chercheurs montrent ensuite que le sous-regroupement observé est efficacement pris en compte par les modèles RD, indépendamment de leur forme, de leur discrétisation et de leur dimension spatiale. Ils montrent également que des ensembles de valeurs peuvent être identifiés dans l'espace des paramètres RD à 12 dimensions pour produire la direction correcte de la corrélation (c'est-à-dire observée chez les vrais lézards) entre la noirceur de l'échelle verte et la configuration de leur voisinage, donnant ainsi des instructions au modèle mathématique.

Plus généralement, les résultats montrent que les propriétés mésoscopiques subtiles des systèmes dynamiques biologiques, ainsi que certaines des caractéristiques microscopiques sous-jacentes, sont quantitativement capturées par des modèles RD simples sans intégrer la profusion de variables à des échelles inférieures.

Plus d'information dans l'article original

Simple reaction-diffusion modelling predicts inconspicuous neighbourhood-dependent colour sub-clustering of lizard scales
Szabolcs Zakany & Michel C. Milinkovitch*
Physical Review X 13, 041011 (2023)

*Contact: michel.Milinkovitch@unige.ch