Evolution: les connivences génétiques des organes génitaux et des doigts

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Evolution: the genetic connivances of digits and genitals

Au cours du développement des mammifères, la croissance et l’organisation des doigts sont placées sous l’égide des gènes Hox, qui sont activés de façon précoce dans des régions précises de l’embryon. Ces gènes «architectes» sont eux-mêmes régulés par une grande séquence d’ADN adjacente. Or, une étude menée par Denis Duboule, professeur à l’Université de Genève (UNIGE) et à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), révèle que cette même séquence régulatrice d’ADN préside aussi le bal des gènes architectes lors du développement des organes génitaux externes. Les chercheurs ont observé que les doigts et les organes génitaux sont issus de la mise en œuvre des mêmes mécanismes très anciens, et que ce sont de petites différences dans l’utilisation des séquences d’ADN de régulation qui aiguillent vers la formation de telle ou telle structure. Ces résultats de recherche sont publiés dans le dernier numéro de la revue Science.

Durant notre développement embryonnaire, la formation et la mise en place des structures du corps sont orchestrées par une famille de ‘gènes architectes’ nommée Hox, dont chacun des composants fournit une instruction précise à un moment opportun. Le groupe de Denis Duboule, généticien à l’UNIGE et à l’EPFL, avait déjà démontré que les gènes Hox responsables de l’apparition des doigts étaient eux-mêmes contrôlés par des séquences d’ADN spécifiques situées dans une région adjacente, qui, elles, agissent comme des interrupteurs moléculaires en activant ou inhibant l’expression des gènes ciblés.

Certains gènes Hox ont la capacité d’organiser le plan de construction du corps à des échelles différentes: une fois l’axe antéropostérieur établi, ce sont ainsi les mêmes gènes qui sont recrutés pour le développement des doigts et des organes génitaux externes. «Nous avons voulu déterminer comment s’effectue la régulation de gènes Hox identiques exprimés dans des contextes aussi différents», explique Nicolas Lonfat, doctorant au Laboratoire de génomique développementale de l’EPFL.

A l’UNIGE et à l’EPFL, des chercheurs des deux laboratoires de Denis Duboule ont alors collaboré pour répondre à cette question. Recourant notamment à une technique de pointe, la «capture de conformation chromosomique», ils ont pu démontrer, à l’aide de lignées d’embryons de souris, que la même séquence d’ADN régulatrice contrôle les gènes architectes pendant la croissance des organes génitaux et des extrémités des pattes. «Des mécanismes ancestraux identiques sont mis en œuvre, explique Denis Duboule. Ils conduisent soit à la formation du pénis ou du clitoris, soit à la production des doigts, suivant de petites différences dans l’utilisation des séquences d’ADN de régulation». Ces résultats illustrent bien les ressorts de l’évolution: les options qui ont fonctionné sont constamment réutilisées, comme par économie de moyens.

Des doigts ou des organes génitaux externes, lesquels seraient apparus en premier ? Car il est en effet probable que l’une de ces deux structures ait précédé l’autre au cours de l’évolution et que la seconde ait même «détourné» à son profit le fonctionnement des gènes Hox de la première. «Il est cependant difficile de conclure, car ces deux innovations ont été d’égale importance en termes de valeur adaptative lors du passage des animaux vertébrés d’un environnement aquatique à un milieu terrestre», commente Nicolas Lonfat. En effet, si les doigts ont sans doute été essentiels à la locomotion sur la terre ferme, le pénis a participé au développement d’un mode de fécondation interne, un changement indispensable pour pallier l’absence de milieu liquide environnant.

Les très grandes similarités observées au niveau génétique dans la construction de ces structures corporelles, pourtant fort différentes, expliquent par ailleurs pourquoi certains syndromes génétiques sont associés à la fois à des malformations des doigts, telles que la polydactylie ou la brachydactylie, et du pénis, telles que l’hypospadias.

Texte de L. Pizurki, D. Duboule